Laurent Marbacher

Coaches ou leaders ?Beaucoup voudraient aujourd’hui que les managers deviennent des managers-coaches. Une telle évolution est même préconisée par certains comme nécessaire pour libérer une organisation. Je ne partage pas cet avis, et je pense même qu’il s’agit d’une confusion préjudiciable à la réussite d’une démarche de libération.

Qu’y a-t-il d’intéressant dans la sensibilisation ou la formation de cadres au coaching ?

  1. La compréhension et la pratique de la posture du coach peut aider des managers à élargir la palette de leurs modalités d’intervention. La position haute n’est pas obligatoire en toute situation. Faire varier les postures peut donner plus de « jeu » aux collaborateurs.
  2. Il est clair aussi que beaucoup d’outils du coaching peuvent être utiles dans l’animation d’équipe. En particulier, l’art de poser de bonnes questions peut modifier profondément la façon dont un manager entre en relation avec ses collègues.
  3. Enfin, comme la plupart des formations au coaching font la part belle à un travail sur soi, cette ouverture peut initier bon nombre de responsables aux dynamiques inter-personnelles ou aux processus d’apprentissage.

Cependant, ces aspects positifs ne doivent pas masquer l’insuffisance – voire même le caractère contre-productif – d’une telle promotion du coaching dans une libération d’entreprise. Dans l’entreprise traditionnelle, le coaching des managers n’a souvent fait qu’atténuer temporairement et superficiellement – et donc in fine éviter de questionner – les effets pervers de la pyramide hiérarchique. Dans la libération d’entreprise, cette pratique du coaching individuel des managers génère une confusion qui se situe à plusieurs niveaux :

  1. Une entreprise fondée sur la confiance n’est pas et ne peut pas être le fruit de techniques, fussent-elles celles du coaching. Il s’agit toujours d’une création dans laquelle chacun est invité à assumer une part irremplaçable, qui ne peut pas être modélisée dans une méthode ou un outil. Dans un univers professionnel hélas dominé par la mentalité « problème > solution », la formation des managers au coaching peut facilement devenir une manière pour les dirigeants de se débarrasser de la question réelle qui se pose à propos du devenir des managers. Le même phénomène peut d’ailleurs parfaitement se produire – je l’ai vu – avec le déploiement d’une formation de tous les managers à tel ou tel modèle de leadership.
  2. Un autre aspect pernicieux d’une telle vision du coaching comme possible substitut (ou même complément) du management, c’est qu’il renforce la plupart du temps l’individualisme. Le socle commun des formations au coaching est – surtout en France – le coaching individuel. Or, un des enjeux majeurs d’un processus de libération est la constitution et le développement d’équipes responsables et autonomes. J’ai vu des entreprises voulant se libérer en demandant à chaque membre de leur CoDir de prendre un coach individuel … Si un tel processus peut faire progresser chacun, il laisse inévitablement de côté la nécessaire cohésion collective.
  3. Il y a plus essentiel enfin. Comme le dit Bob Davids (SeaSmoke Cellars), « la ressource la plus rare, c’est le leadership« . Un coach n’est pas nécessairement un leader. Certes, le leadership consiste essentiellement à se diriger soi-même. Et pour y parvenir, il peut être utile d’être coaché. Mais ce n’est pas en étant formé au coaching qu’un manager deviendra un leader. Le cœur du sujet est de multiplier les leaders partout dans l’organisation. Les qualités nécessaires pour entraîner les autres ne coïncident pas – à ma connaissance – avec celles d’un coach, fut-il excellent. Le succès des entreprises libérées les plus avancées ne repose pas, fondamentalement, sur des coaches internes ou externes !

Derrière cette question, qui paraîtra peut-être purement sémantique, se cache à mon avis une autre question cruciale et récurrente : que deviennent les managers dans un processus de libération d’entreprise ? C’est faire peu de cas de l’intelligence et de la capacité d’adaptation humaine que de laisser croire qu’il suffira pour un manager de devenir manager-coach, moyennant une bonne formation de coach. Il faut dire avec courage que ce qui a structuré le quotidien et les compétences des managers pendant des décennies : définir des objectifs, déléguer, faire descendre ou remonter l’information, planifier, évaluer, contrôler, faire du reporting,… tout cela va disparaître. Il s’agit donc, pour chaque manager engagé dans une libération, de se poser la question  : « Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? » Et immédiatement après, la question que se pose tout leader : « Pourquoi est-ce que d’autres accepteraient de me suivre ? »

7 Responses

  1. Bonjour Laurent. Je partage: libérer, c’est questionner la structure et c’est passer de l’individualité au collectif.
    Par contre je ne crois pas au leader en tant que guide qui montre durablement la voie. On finit par se rendre compte qu’on s’est fourvoyé. C’est la crise mondiale actuelle du leadership: on privilégie le style sur la substance, le charisme sur les qualités morales et l’image sur l’intégrité.
    Je crois au leadership partagé. Faire équipe, c’est permettre à chaque membre d’être leader de l’équipe à un moment opportun, c’est la capacité des leaders à se mettre en retrait. Dans une entreprise que je connais bien, le fondateur a mis en place dès le départ une structure libérée et son rôle de leader a été important. Maintenant l’esprit qu’il a insufflé est relayé par chaque employé. Le rôle du créateur est de servir les leaders qui émergent pour les aider à réaliser leurs idées (création de nouvelles entreprises par exemple). Ainsi tout le monde n’est pas leader, mais plusieurs leaders émergent naturellement.
    Pour aller jusqu’au bout: je ne crois pas aux grands hommes (femmes). Je crois que l’homme est incapable d’assumer un pouvoir ad vitam. Il finit par sortir de la voie. Et plus vite qu’on ne croit.
    Merci pour ce post!

  2. tout à fait d’accord !
    faire croire à un leader qu’il va coacher ses collaborateurs est une imposture dans le sens premier du terme: pas la bonne posture.
    Cela fait des leader manipulateur.
    la première caractéristique du coach c’est qu’il n’a pas d’enjeu dans la réussite de son client. Ce qui n’est pas le cas du manager avec son collaborateur.
    mais par contre on peut imaginer que le leader soit capable d’accompagner ses collaborateurs sans pour autant perdre sa mission de leader.

  3. Etre leader c est d’abord porter une vision , incarner celle ci , ne jamais lâcher son cap ET se mettre au service de ceux qui rejoignent notre projet

  4. Merci Laurent,
    Intéressante et utile clarification. je te rejoins sur pas de points.

    Je souhaiterai partager ton article mais cette possibilité n’est pas offerte par ta page. Any ideas?

    Amitié

    Winoc

  5. Point de vue très intéressant, merci pour cette analyse :)
    Pour alimenter cette réflexion, j’apporte l’expérience AGESYS :
    1. Dans la plus part des entreprises, les managers sont très souvent les personnes qui ont la plus forte compétence dans le métier qu’ils dirigent (c’est d’ailleurs très souvent pour cela qu’ils ont été nommés managers)! Ils sont généralement formés au management et au final s’occupent plus de la performance du service que du bien être (réel) du collaborateur.
    2. C’est pour cette raison que nous avons séparé le management chez Agesys: Le management opérationnel qui concerne le métier, le travail et la gestion du service. Le management relationnel qui concerne le collaborateur, son suivi personnel et son epanouissement.
    3. Le métier de coordinateur relationnel s’apparente vraiment à un travail de coatch et la transformation des managers vers ces nouvelles compétences est indispensable pour nous!

    La question des manageurs dans les entreprises libérées est une vraie question et pour moi, il y a 4 axes pour eux:
    – Evoluer vers le métier de coatch et devenir coordinateur relationnel (c’est bien un changement de métier)
    – Devenir capitaine (manager Operationnel) d’une cellule (ce concentrer sur l’expertise et plus sur le management)
    – Profiter des nombreuses opportunités que propose la transformation pour changer de métier en fonction de leurs vraies motivations (ce qu’ils aiment faire)
    – Avoir un autre projet en dehors de l’entreprise

  6. Merci Christophe de partager cette expérience. Elle me semble proche de ce que j’ai pu observer. Je note l’expression « coordinateur relationnel » qui est intéressante et en tout cas – c’est important – qui est la vôtre. Je pense aussi, mais le cadre du post est trop court, que la sémantique compte, mais surtout en interne ! et qu’on peut « inventer » de nouveaux noms/intitulés, à condition que tout le monde sache de quoi on parle.

  7. Merci Winoc. Oui, je suis un grand débutant des réseaux sociaux… Je vais voir ce que je peux faire.

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